Premier jour de répétition. Avant, on rencontre
Premier jour de répétition. Avant, on rencontre les acteurs un par un, on fait
des réunions pendant des semaines pour se dire que, cette fois-ci, c'est
la bonne, qu'on va se professionnaliser, qu'on ira jusqu'au bout, que
le théâtre implique un engagement vis-à-vis de nous même mais aussi vis-à-vis des autres, parce qu'on
donne tous du temps pris sur notre travail, sur notre vie sociale, sur
nos vies de couples, sur nos vies, quoi... Et ce matin, un message
d'Elvire sur mon portable :
- Désolée, je ne serai pas là ce soir, je dois à tout prix aller acheter mon ordinateur...
J'ai senti un gouffre s'ouvrir en moi. Je l'ai rappelée pour lui dire :
- OK, c'est pas grave.
Après, mon psy m'a expliqué la différence chez les Romains entre l'autoritas (que l'on conquiert par la parole) et la potentas (que l'on impose par la violence).
En sortant, j'ai rappelé Elvire. Je lui ai dit :
-
Bien sûr, ça m'ennuie, je perds trois heures de répétitions. Mais
surtout, tu penses aux autres ? Tu fais venir trois acteurs pour rien...
Elle
s'est excusée platement, et s'excusait encore ce soir, quand je l'ai
croisée, sortant du théâtre à l'heure où nous aurions dû commencer à
répéter. Au lieu de répéter, j'ai parlé avec les deux autres acteurs.
J'ai assis un peu mon autoritas.
Il y a aussi autre chose
: je pensais qu'il me manquait un acteur. Je me suis donc décidé à
appeler Cyrano, dont j'avais beaucoup apprécié le jeu quand je l'avais
vu en scène. Pour m'entendre dire que ça ne l'intéressait pas trop
parce qu'il était déjà sur un autre projet similaire et qu'en plus il
cherchait plutôt des projets pour lesquels les répétitions étaient
rémunérées mais que c'est dommage parce qu'il aurait tellement aimé
participer à mon projet, qu'il me souhaitait prompte réussite et qu'il
espérait que je viendrais le voir dans la pièce où il jouait à partir
du lendemain. Je crois que je vais devoir jouer dans la pièce que je
mets en scène : glups ! Je suivrai ainsi les conseils de mon psy qui,
quand je lui ai dit que je m'étais réservé dans ma pièce le petit rôle
du barman, m'a répondu :
- Quand vous dites barman, j'entends barre-man, l'homme qui se barre. Jouer un petit rôle est-il pour vous une manière de fuir ?
(Est-ce
que tous les psy souffrent de problèmes d'audition ?) Il faut que je
fasse quelque recherches ce soir pour vérifier si Molière et Ariane
Mnouchkine jouaient dans les spectacles qu'ils dirigeaient. S'ils l'ont fait, c'est que c'est possible, non ? Certains croiront à cette
remarque que je suis orgueilleux, les autres que je voudrais l'être...
Claire m'a demandé ce que j'allais faire faire aux acteurs comme
premier exercice. Un exercice de l'école russe, où les acteurs
déambulent les yeux fermés, se rencontrent, se touchent jusqu'à se
reconnaître. Tout le théâtre est là : reconnaître le corps de l'autre,
donc l'accepter, accepter son corps... Mais Claire a dit :
- Ah oui, le genre de jeu qu'on fait dans les mariages un peu beauf, quoi !